Ce film dont je n’ai qu’un vague souvenir – vague mais plaisant – a été diffusé il y a relativement peu de temps sur M6, à une heure indue (rassurez-vous, pas en japonais). Je me souviens m’être fait la réflexion que c’était bien la peine de renoncer à « Mort sur la Lune », « La Guerre du Fer » ou autre joyeusetés de la grande époque fauchée de M6, si c’était pour programmer des films d’auteurs à 1h du matin. Evidemment, je ne pouvais pas me douter que la petite chaîne qui monte se piquait alors de jouer à Mme Irma.
Mardi soir, Stuart a profité de notre manque de vigilance pour s’offrir une virée champêtre. Jusqu’alors, il avait surtout limité son terrain d’exploration aux terrasses et balcons voisins. A deux ou trois reprises, il avait bien fait le grand saut pour courir le guilledoux ou tracer un lapin plus gras que lui, mais nous l’avions toujours retrouvé dans l’heure. Je sais ce que vous allez me dire, d’autres me l’ont dit : un chat revient toujours (mouais, sauf quand il ne revient pas). Le seul souci, c’est que cet étourdi n’a jamais réussi à mémoriser le digicode, qu’il sort toujours sans ses clés et qu’il s’est montré tout bonnement incapable de se servir du visiophone (puisque on vous serine qu’on occupe un appartement de grand standing !). Cela dit, comme c’est un bavard infatigable, un jour qu’il s’était fait la malle à notre insu, il a miaulé jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il était coincé au pied de l’immeuble. Mais ça, c’était en plein jour.
Or, avec un chat, l’heure de tous les risques, c’est à la nuit tombée. Son instinct de fauve le saisit et le souvenir désagréable de l’épisode précédent se dissipe. Quand on lui ouvre la porte pour le faire rentrer, il s’en écarte alors vivement en voisant un miaulement coquin signifiant « je t’ai bien eu ! ». On ferme la porte en se disant que le chat facétieux finira bien par supplier qu’on le fasse entrer quand il aura faim. Et il ne revient pas. On se couche alors très tard, après plusieurs battues dans les environs, et on dort très mal, la porte-fenêtre ouverte, à l’affût du moindre miaulement. À 4h, on se réveille, pris d’une vive angoisse, on repart en vadrouille pour rentrer bredouille. On part au boulot l’angoisse au cœur, avec l’espoir de plus en plus ténu de le retrouver à son retour.
Le mercredi après-midi est interminable ; plus les heures passent, plus l’idée qu’il revienne vous semble incongrue. On est ressorti le chercher, bien sûr, mais bientôt, la certitude de faire chou blanc vous étreint et vous n’avez même plus le courage de risquer un coup d’œil par la fenêtre. C’est alors que surviennent ces maudites hallucinations auditives : on se rue sur la terrasse, en vain. On hait de plus en plus ces gamines aryennes qui émettent ces quasi-miaulements… On les maudit, on rentre, on pleure. On se traîne dans l’appartement, on va échouer sur le lit ruminer ses terreurs. On s’imagine le moment où il va enfin surgir de nulle part et, tout aussitôt, on s’en veut d’être si imprudemment optimiste. On le sent bien, il est peut-être plus sage de se préparer au pire, à l’idée d’un vide privé à jamais de certitudes. Alors la machine à fantasmes prend le pli contraire et vous donne à voir les pires horreurs.
On s’arrache à nos draps devenus insupportables. On tente de se distraire, mais on manque de fondre en larmes en donnant du foin virtuel à son mouton numérique. On sent bien qu’on ne pourra pas travailler ; il nous semble même impossible, à vrai dire, qu’on trouve le courage de se lever le lendemain. On ravale un sanglot en passant à proximité de la litière ou du bol de croquettes à moitié vide. Et puis, sur les coups de 16 heures, c’est une angoisse insoutenable qui vous étrangle et, sous les yeux de l’être aimé qui lutte héroïquement de son côté contre son chagrin en s’activant comme il peut, un flot de larmes intarissables s’écoule sur vos joues: la pensée que votre chat, adoré et maudit, souffre quelque part sans que vous en sachiez rien paralyse votre raison. Vous ânonnez ad libitum les mêmes mots ( « je peux plus supporter je peux plus supporter j’y arriverai pas ») en grimaçant atrocement et en espérant que la fatigue finisse par l’emporter. On imprime quelques affichettes, alors même que le matin vous avez dit que ça voudrait dire qu’il est mort – on n’a jamais cru à l’efficacité des affichettes. On n’a rien de mieux à faire, alors... Il a fallu trouver une photo du chat, ç’a été douloureux. V. a parsemé le bois et les rues alentours de ces avis de recherche.
Le reste de la soirée, on est comme inerte. Exsangue. Votre homme, parce qu’il en a encore la force ou parce qu’il a besoin de s’éloigner de votre souffrance qui le renvoie si durement à la sienne, tente une dernière expédition. Vous vous demandez comment il le peut encore : au début, vous aviez l’espoir de retrouver le chat; il ne vous reste que la terreur sûre et certaine de revenir sans rien. Il est l’heure de passer quelques coups de fil. Pas la force d’appeler vos parents. Mais, prévenus par V. qui les a joints depuis son portable, c’est eux qui vous appellent. On peut à peine articuler deux mots avant de rouvrir les vannes, minablement. « C’est ça les chats, on ne peut rien y faire. On ne peut pas les contraindre ». La sagesse même, mais on a mal quand même. Saby Banana, elle, vous raconte sa première séance d’escrime, et ça vous fait du bien ces petits choses de la vie. On esquisse même un sourire, parfois… Et comme Saby a perdu Fripounet et qu’elle est la marraine de Stu, on sait qu’elle comprend. Elle dit qu’il faut reprendre un chat tout de suite ; elle, ça l’a aidé. On ne peut pas s’empêcher de se figurer la tête de Stuart en constatant à son retour qu’il a une nouvelle petite sœur, et puis on n’ose plus trop y croire.
24 heures qu’il a disparu. On se couche. On se dit que jamais plus il ne viendra se caler tout contre vos jambes, dans le lit. On pense que s’habituer à cette absence est inévitable. La supportera-t-on vraiment ? On s’endort. Au matin, votre homme s’extirpe péniblement du lit. Il traîne la patte péniblement en direction de la cuisine. Il hurle, soudain, il vous appelle. Le chat ! le chat est là, dans ses bras !
Par quel prodige il a bien pu se retrouver sur notre terrasse, nous ne pensions ne jamais le savoir. Mais notre voisin du haut a tout vu en promenant Bête du Gévaudan à 4 heures du matin. Ce vaurien, peut-être encouragé en cela par la proximité du monstre, a effectué un bond de plus de deux mètres depuis une lucarne du rez-de-chaussée du bâtiment en L. Ce chat est doté de super-pouvoirs, c’est impensable !
On se sent enfin vaguement honteux de s’être mis dans des états pareils. On se dit que ce n’est qu’un chat, que la douleur de perdre un enfant, elle, doit être insupportable. On se promet de n’en avoir jamais (c’est bien parti pour). Mais on sait, au fond, qu’on n’aurait pas pu réagir autrement…
G.
Mardi soir, Stuart a profité de notre manque de vigilance pour s’offrir une virée champêtre. Jusqu’alors, il avait surtout limité son terrain d’exploration aux terrasses et balcons voisins. A deux ou trois reprises, il avait bien fait le grand saut pour courir le guilledoux ou tracer un lapin plus gras que lui, mais nous l’avions toujours retrouvé dans l’heure. Je sais ce que vous allez me dire, d’autres me l’ont dit : un chat revient toujours (mouais, sauf quand il ne revient pas). Le seul souci, c’est que cet étourdi n’a jamais réussi à mémoriser le digicode, qu’il sort toujours sans ses clés et qu’il s’est montré tout bonnement incapable de se servir du visiophone (puisque on vous serine qu’on occupe un appartement de grand standing !). Cela dit, comme c’est un bavard infatigable, un jour qu’il s’était fait la malle à notre insu, il a miaulé jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il était coincé au pied de l’immeuble. Mais ça, c’était en plein jour.
Or, avec un chat, l’heure de tous les risques, c’est à la nuit tombée. Son instinct de fauve le saisit et le souvenir désagréable de l’épisode précédent se dissipe. Quand on lui ouvre la porte pour le faire rentrer, il s’en écarte alors vivement en voisant un miaulement coquin signifiant « je t’ai bien eu ! ». On ferme la porte en se disant que le chat facétieux finira bien par supplier qu’on le fasse entrer quand il aura faim. Et il ne revient pas. On se couche alors très tard, après plusieurs battues dans les environs, et on dort très mal, la porte-fenêtre ouverte, à l’affût du moindre miaulement. À 4h, on se réveille, pris d’une vive angoisse, on repart en vadrouille pour rentrer bredouille. On part au boulot l’angoisse au cœur, avec l’espoir de plus en plus ténu de le retrouver à son retour.
Le mercredi après-midi est interminable ; plus les heures passent, plus l’idée qu’il revienne vous semble incongrue. On est ressorti le chercher, bien sûr, mais bientôt, la certitude de faire chou blanc vous étreint et vous n’avez même plus le courage de risquer un coup d’œil par la fenêtre. C’est alors que surviennent ces maudites hallucinations auditives : on se rue sur la terrasse, en vain. On hait de plus en plus ces gamines aryennes qui émettent ces quasi-miaulements… On les maudit, on rentre, on pleure. On se traîne dans l’appartement, on va échouer sur le lit ruminer ses terreurs. On s’imagine le moment où il va enfin surgir de nulle part et, tout aussitôt, on s’en veut d’être si imprudemment optimiste. On le sent bien, il est peut-être plus sage de se préparer au pire, à l’idée d’un vide privé à jamais de certitudes. Alors la machine à fantasmes prend le pli contraire et vous donne à voir les pires horreurs.
On s’arrache à nos draps devenus insupportables. On tente de se distraire, mais on manque de fondre en larmes en donnant du foin virtuel à son mouton numérique. On sent bien qu’on ne pourra pas travailler ; il nous semble même impossible, à vrai dire, qu’on trouve le courage de se lever le lendemain. On ravale un sanglot en passant à proximité de la litière ou du bol de croquettes à moitié vide. Et puis, sur les coups de 16 heures, c’est une angoisse insoutenable qui vous étrangle et, sous les yeux de l’être aimé qui lutte héroïquement de son côté contre son chagrin en s’activant comme il peut, un flot de larmes intarissables s’écoule sur vos joues: la pensée que votre chat, adoré et maudit, souffre quelque part sans que vous en sachiez rien paralyse votre raison. Vous ânonnez ad libitum les mêmes mots ( « je peux plus supporter je peux plus supporter j’y arriverai pas ») en grimaçant atrocement et en espérant que la fatigue finisse par l’emporter. On imprime quelques affichettes, alors même que le matin vous avez dit que ça voudrait dire qu’il est mort – on n’a jamais cru à l’efficacité des affichettes. On n’a rien de mieux à faire, alors... Il a fallu trouver une photo du chat, ç’a été douloureux. V. a parsemé le bois et les rues alentours de ces avis de recherche.
Le reste de la soirée, on est comme inerte. Exsangue. Votre homme, parce qu’il en a encore la force ou parce qu’il a besoin de s’éloigner de votre souffrance qui le renvoie si durement à la sienne, tente une dernière expédition. Vous vous demandez comment il le peut encore : au début, vous aviez l’espoir de retrouver le chat; il ne vous reste que la terreur sûre et certaine de revenir sans rien. Il est l’heure de passer quelques coups de fil. Pas la force d’appeler vos parents. Mais, prévenus par V. qui les a joints depuis son portable, c’est eux qui vous appellent. On peut à peine articuler deux mots avant de rouvrir les vannes, minablement. « C’est ça les chats, on ne peut rien y faire. On ne peut pas les contraindre ». La sagesse même, mais on a mal quand même. Saby Banana, elle, vous raconte sa première séance d’escrime, et ça vous fait du bien ces petits choses de la vie. On esquisse même un sourire, parfois… Et comme Saby a perdu Fripounet et qu’elle est la marraine de Stu, on sait qu’elle comprend. Elle dit qu’il faut reprendre un chat tout de suite ; elle, ça l’a aidé. On ne peut pas s’empêcher de se figurer la tête de Stuart en constatant à son retour qu’il a une nouvelle petite sœur, et puis on n’ose plus trop y croire.
24 heures qu’il a disparu. On se couche. On se dit que jamais plus il ne viendra se caler tout contre vos jambes, dans le lit. On pense que s’habituer à cette absence est inévitable. La supportera-t-on vraiment ? On s’endort. Au matin, votre homme s’extirpe péniblement du lit. Il traîne la patte péniblement en direction de la cuisine. Il hurle, soudain, il vous appelle. Le chat ! le chat est là, dans ses bras !
Par quel prodige il a bien pu se retrouver sur notre terrasse, nous ne pensions ne jamais le savoir. Mais notre voisin du haut a tout vu en promenant Bête du Gévaudan à 4 heures du matin. Ce vaurien, peut-être encouragé en cela par la proximité du monstre, a effectué un bond de plus de deux mètres depuis une lucarne du rez-de-chaussée du bâtiment en L. Ce chat est doté de super-pouvoirs, c’est impensable !
On se sent enfin vaguement honteux de s’être mis dans des états pareils. On se dit que ce n’est qu’un chat, que la douleur de perdre un enfant, elle, doit être insupportable. On se promet de n’en avoir jamais (c’est bien parti pour). Mais on sait, au fond, qu’on n’aurait pas pu réagir autrement…
G.
1 commentaire:
Très émouvant ! Et ça me rappelle trop de choses : je ne peux rien dire de plus pour l'instant :o(
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