30 août, 2006

Retour - 2

Le retour en Amiénie a provoqué en nous un violent choc (a)culturel. En l'espace de quelques dizaines de minutes, tous les inconvénients de cette ville, de concert, nous ont violemment sauté à la gueule (je voulais écrire figure, mais désolé, une ville qui pue comme ça n'a pas le droit à l'euphémisme). Après un séjour sur un site merveilleux, il fallait bien nous rappeler avec insistance tout ce qui nous fait détester notre terre d'exil : c'est bizarre comme sur une plage magnifique, sous un soleil radieux, entre lauriers roses et eucalyptus, trèèèèèèès loin de son univers quotidien, on a tendance à minimiser les dégâts de son cadre habituel.
Le pire, c'est que quand on a débarqué en Amiénie, il ne pleuvait même pas. C'est encore plus angoissant : on ne peut même pas incriminer la météo dans l'amertume qui sourd sombrement en nous. Même sous le soleil, c'est Totale Dévastation. Les constructions neuves ont déjà l'allure de ruines, les odeurs sont épouvantables, les autochtones sont laids (pardon de tout coeur aux Picards que je connais et dont certains sont très beaux : mais le fait est qu'aujourd'hui, nous avons vu défiler sous nos yeux une faune abjecte et innombrable).

On pense pouvoir se claquemurer à l'abri chez soi. En triant son courier, on apprend qu'il faut d'urgence aller chercher un recommandé à la Poste. Il y a un an, j'aurais un peu râlé en voyant la queue à la Poste centrale. J'aurais bien fait une demi-heure de queue supplémentaire pour échapper au bureau de poste auquel est rattaché notre "nouveau" chez nous. Pour ceux qui ignorent tout de la topographie amiénienne, il faut savoir que notre résidence, vendue comme un bien de standing (formidable : la porte du gararge a fonctionné trois semaines en tout et pour tout depuis la livraison, mais comme on a un ascenseur qui parle et un miroir rutilant dans le hall, on ne va pas faire la fine bouche) dans un quartier en devenir (va falloir nous envoyer un sacré contingent de missionnaire pour assurer la reconversion), dépend administrativement du Pigeonnier, quartier de sinistre réputation. Le truc, c'est que géographiquement, on est à deux pas du centre ville, mais dès qu'on a loupé le passage du facteur, il faut renoncer aux bienfaits de la civilisation.

Vous rentrez dans la Poste du Pigeonnier et, par accident, votre oeil innocent se pose sur une affichette atrocement imprimée d'un dessin humouristique accompagné d'une légende on ne peut plus juridique : un lieu où on vous rappelle qu'on ne doit pas menacer les guichetiers n'inspire pas une confiance souveraine. Mais même sans insultes, un lieu peut vite devenir invivable... J'avoue que j'ai quelquefois (oh, si peu!) recours à l'hyperbole sur ce blog; mais là, promis, je n'exagère rien : dans la salle minuscule, deux femmes édentées entourées d'une ribambelle de gamins attendent leur tour dans le brouhaha de leur progéniture. Dans le lot, une hideuse préado, mules Barbie et effet racine, commmence à hurler qu'il faut ouvrir d'autres guichets. Elle engueule un monsieur qui travaille à la Poste parce qu'il ne fait pas la queue pour demander un renseignement à un collègue. Un autre gamin tyrannise un distributeur de boissons (quelle idée aussi d'aller installer un engin pareil ici!), tandis qu'un de ses frères, inexplicablement armé de deux bouts de bois, tape sur les plus jeunes en beuglant.
C'est enfin au tour des deux dames; elles rappellent à elles leurs gosses dispersés. C'est alors que deux de ces adorables Groseilles (difficile de ne pas penser à La Vie est un long fleuve tranquille) entreprennent de sauter par dessus les cordons installés pour canaliser les usagers. Evidemment, ils ne sautent pas assez haut, entrainant dans leur chute les plots métalliques. Les mères (la mère et la grand-mère? difficile à dire tant la misère vieillit les traits) qui, en plus, n'ont pas les papiers nécessaires, crient de plus en plus fort : "Vivement l'école!". Quand les mômes commencent à vraiment se chamailler, l'une d'elles lance un : " hé, vous êtes pas à l'école, ici!" qui nous laisse encore cois...

Alors c'est ça, l'école, pour ces adultes-là, ces adultes qui n'hésitent pas à cracher des "bordels" et des "putains" devant leurs enfants? Un lieu où il est normal de se conduire comme des bêtes? Un genre de clos où on laisse les mômes se défouler juste pour soulager les parents dans la journée? L'école, c'est le Bronx? On sait qu'elle peine de plus en plus à briser le déterminisme social. Etant donnée l'image d'elle que certains parents transmettent à leurs enfants, on ne s'étonnera plus de rien...
Le petit dernier, dans sa poussette, s'agitait énormément. En me disant qu'il était promis au sort de ses frères, j'ai ressenti un puissant malaise. Bienvenue en Amiénie...

G.

3 commentaires:

Alcib a dit…

« Home, sweet Home ! », disent les États-Uniens ; on ne dit pas cela en Amiénie ?
Si cela peut te consoler, la bêtise est bien répandue sur tous les continents (sauf qu'il existe des concentrations à certains endroits, hélas).
Heureux de lire ici de beaux textes après une absence qui m'a paru longue. Si tu préfères aller les écrire ailleurs qu'en Amiénie, je ne t'en empêcherai pas ;o)

Rafaele a dit…

C'est décidé : JE RESTE À LILLE !!!!

Anonyme a dit…

A écouter : Marre des pauvres de Didier Super