27 juin, 2007

La gente immobilière

Jeudi 14, en fin d'après-midi, les jeux étaient faits : nous savions que nous retournions dans la ville de mon enfance, que 5 ans d'Amiénie ont fini par me rendre sympathique. On a beau dire, la pierre de taille et la tuile de pays, ça a plus de tronche que de la briquette sang de boeuf. Pour moi, c'est un joli cadeau d'anniversaire : le poste que je convoitais. Mon ange effectuera des remplacements dans la zone; ce n'est pas la nouvelle du siècle, mais cela conforte l'idée de notre installation dans la Cité des Ducs.
Le soir même, nous sautions dans la voiture et avalions des km d'autoroute pour aller dormir chez mes parents de façon à être opérationnels de très bonne heure. Et on l'a été : impossible de lambiner au lit, vu notre état avancé d'excitation, mêlé de joie et de stress. Stress de rencontrer mon nouveau chef et quelques collègues. Stress surtout de trouver le parfait nid d'amour.

Le but premier était évidemment d'inspecter des maisons. Mais nous avons eu tout loisir d'observer de près l'engeance immobilière. C'est un attirail composite de styles diversement appréciables, dont voici un petit aperçu (pour certains, il y a de quoi prendre la tangente immobilière) :


La Barbie
La Barbie sourit tout le temps, mais vous rappelle instamment que vous lui faites perdre son temps (vous avez eu la sottise de lui confesser que vous n'étiez pas encore sûr de votre ville d'affectation), un temps précieux qu'elle pourrait consacrer à des clients sérieux, des Ken avec une Barbie et des Skipper tout prêts à se ruer sur sa hideuse moquette à motif 4%.

Elle consent à nous montrer quelques biens, mais pas des choses auxquelles on pourrait s'attacher. Elle nous fait donc l'inventaire de toutes les mochetés qu'elle a en stock. Vient un moment où son sourire nous apparaît pour ce qu'il est : un rictus de crispation, et où sa voix flûtée nous donne envie de fracasser sa partition dentaire.
C'est décidé, on laissera Barbie dans sa boîte!

Voiture : non testée.


Le Flamby
Votre homme vous avait vanté la voix jeune et suave de l'agent secret suivant, et vous faites face à un Flamby à l'air niais. Pour peu que vous ayez le malheur d'avoir un peu de route à faire en sa compagnie, il vous expose en détails sa méthode farfelue de négociation : "Je fixe d'emblée les frais d'agence à 10%. Après, s'il n'y a pas d'accord sur le prix, c'est moi qui baisse ma marge, comme ça tout le monde est content! Et tous mes confrères me disent : c'est vrai, Norbert, ta méthode, elle est trop top!" (elle est top pour les intérêts de ses confrères, effectivement).

Norbert a aussi sa technique pour faire visiter les lieux. Il vous laisse vous imprégner de l'atmosphère de la maison pendant qu'il va griller quelques clopes dans le jardin. Norbert n'est pas pressé : il a manifestement bloqué sa semaine pour vous montrer deux piaules. Alors, c'est vrai que la vue était à couper le souffle, mais on a quand même fini par comater sur la verte pelouse. Jeter un coup d'oeil au Flamby, c'est se jeter à corps perdu dans un sommeil forcé.

Voiture : voiture de père de famille (pauvres gosses, quand même!)


L'agent légendaire
Difficile d'imaginer que ce tout petit homme qui chipe des framboises grosses comme son poing dans le jardin qu'il vous fait visiter, a longtemps dicté sa loi sur le marché immobilier local. Service impeccable, un peu suranné.

Voiture :Clio de 1993 qu'il conduit n'importe comment tout en scrutant les défauts des autres conducteurs. "C'est la journée de ceux qui ne savent pas conduire!" (effectivement...)


Le Flambeur
Votre homme vous avait vanté la voix jeune et suave de l'agent, et vous faites face à un gougnafier à l'imposante gourmette, probablement envoyé par la mafia russe. A l'inverse du précédent, celui-ci a tout misé sur l'esbrouffe.

Comme tous les vieux briscards de sa profession, il cherche à cerner vos goûts, mais à sa manière (assez bourrue, la manière). De toute façon, il finit par vous montrer tout et n'importe quoi. On se retrouve à faire 3 fois le tour de la ville, avec le vague sentiment d'avoir été pris en otages dans sa grosse bagnole de pute. On comprend vite qu'on sert en fait de prétexte à l'édification de sa nouvelle collaboratrice, à qui il entend présenter toute l'étendue de son catalogue (loqueteux) :
Flambeur : "Vous l'avez déjà visitée avec un autre agent, cette maison?
Pitou V : "Quoi? Cette chose?" (j'adore mon homme)

Le Flambeur n'a pas de principe, pas de conviction, bref, rien de ce qui forme un début de fiabilité. Il n'a pas peur, dans une même phrase, de vous recommander de songer à la revente en envisageant trois chambres au moins, et d'insister pour vous faire rentrer dans une studette avec véranda (en vain; le lecteur régulier se doute bien que le pauvre homme n'avait pas bien compris qui était mon homme). La junte immobilière cherche encore son seigneur...

Voiture: gros 4*4 de pute. Comme quoi, l'agent ne fait pas le bonheur!


La professionnelle efficace
Dans cette catégorie se rangent des femmes jeunes, belles, élégantes et sérieuses. Des agentes qui ont de l'entrejambe l'entregent. On avait d'abord approché le modèle Céline Frémond; mais nous n'avons pas pu traiter avec elle, parce que, depuis notre première rencontre, les scénaristes de Plus Belle La Vie l'ont jetée en prison.

Dans une agence qui vient d'ouvrir, on a rencontré Svetlana, avec laquelle on a entamé une belle histoire immobilière. Comme nous sommes parmi ses tout premiers clients, Svetlanan se démène. Cette stakhanoviste satisfait toutes nos demandes et en prévient certaines. Consiencieuse jusqu'au bout des zèle, elle nous renseigne même sur la servitude de brouette (sic), survivance archaïque locale. Elle vient de s'installer dans la ville, mais en sait autant à son sujet que bon nombre de ses collègues car elle est à l'écoute (on devine en elle une pipelette de première catégorie).

Elle partage avec la Barbie une voix mutine, mais qui n'a rien de faux. On la soupçonne d'user de ses charmes pour amadouer ses contacts professionnels (diiiites, vous pourriez me faire un plan avec toutes les cotes?). Il faut de l'astuce pour parvenir à ses fins... Elle se construit un réseau à vive allure. C'est donc en toute confiance qu'on a signé le compromis vendredi dernier pour notre maison idéale.

Voiture : classe, la caisse!


Celui qui vous fait mentir
On avait hésité à annuler le rendez-vous : on venait de signer une offre d'achat avec Svetlana et on avait bien peu d'espoir de trouver mieux ailleurs. Le sort a choisi pour nous : ça sonnait dans le vide pendant la pause déjeuner. Sur le chemin de l'agence, mon homme m'a vanté la voix jeune et suave de l'agent, déclenchant ainsi un double fou-rire : on a passé en revue nos précédentes rencontres. Si les agentes rencontrées étaient toutes très jolies, leurs confrères étaient plutôt flétris : de vrais pruneaux d'agents!

Quand Jean-Bapt' nous a serré la main, j'ai flairé le traquenard : j'ai exploré les alentours pour débusquer le vrai agent immobilier, le troll boîteux qui allait, à coup sûr, nous offrir la tournée des taudis. Bah nan, notre contact, c'était bien ce minou-là, à peine plus petit que moi, avec ses cheveux en bataille et ses yeux bleu lavis (d'habitude, je n'aime pas trop les yeux bleus, mais j'ai rarement fixé aussi assidûment l'iris de mon interlocuteur, soit que j'aie voulu me donner une contenance ou l'impressionner, soit que j'aie eu peur de m'attarder trop visiblement ailleurs...) Jean Bapt, c'est l'agent jeune en jeans.

Le temps d'échanger un regard complice avec V., et il nous installe sur à son bureau pour mieux cibler nos goûts (allons, Jean Bapt', ne brusque pas les choses, on verra ça d'après l'inspiration du moment!), nos critères de sélection (on marche vraiment au coup de coeur, tu sais. 1m72, taille fine trois chambres, oui, c'est bien), bref, mieux nous connaître. Pour son malheur, il devait finir par y parvenir : il s'est aperçu assez vite que, sans aller jusqu'à lui faire du plat, on allait un peu le titiller (oh, rien qu'un peu!). Il a fait contre mauvaise fortune bon coeur et ne s'est pas départi de sa prévenance. L'agent-tillesse même!

Mais avouez, nous faire visiter une propriété avec garçonnière en bordure de rivière, c'était quand même tenter le diable! D'ailleurs, Jean Bapt n'est pas un ange; j'ai remarqué qu'il sentait un peu la vinasse : n'est pas à jeûn immobilier qui veut!

Voiture : vieille carlingue à aileron, sentant le gazole.
Jean Bapt : "Ne vous en faites pas, elle roule!
Pitou V. : Vous ne nous feriez pas le coup de la panne, tout de même?" (ça, c'était avant qu'il lui demande avec subtilité s'il était marié - c'est fou, tous ces couples qui divorcent, non?)

G

7 commentaires:

Alcib a dit…

J'allais regretter de ne pas avoir assisté à ce défilé des pruneaux d'agents ; mais le récit est si vivant, et amusant, qu'on s'y croirait présent ;o)

Garde-moi les coordonnées de l'agent-tillesse, au cas où je chercherais une maison dans le coin ;o)

Didier Goux a dit…

Parfait, rien à ajouter ! Pour avoir été des acheteurs de maisons un rien compulsifs, l'Irremplaçable et moi, on a rencontré exactement les mêmes !

Anonyme a dit…

Quand même, une garçonnière, c'est pratique pour recevoir !

Anonyme a dit…

Et bien! Vous n'avez pas lésiné sur les jeux de mots! Et vous n'avez pas dû vous ennuyer beaucoup ce jour-là...

Les Pitous a dit…

Alcib=> je le garde sous le coude et ne désespère pas de le croiser souvent. Son agence n'est pas si loin de notre futur chez nous!

Didier=> si vous en croisez d'un nouveau genre, merci de le signaler! L'inventaire n'est sans doute pas exhaustif!

Willywalt=> est-ce à dire que vous pensez que nous aurions dû tenter quelque approche avec Jean-Bapt?

Incitatus=> le mot "agent" a un tel potentiel. Je crois que c'est l'agent Bapt qui m'a inspiré ;-)

Catherine a dit…

Il va falloir songer à changer le nom de votre blog, non ?
Bon emménagement.

Les Pitous a dit…

Irremplaçable épouse=> il est prévu d'en créer un nouveau, chez blogspot ou ailleurs (les suggestions de ceux qui connaissent d'autres plateformes sont d'ailleurs bienvenues). Nous réfléchissons à d'autres titres. Dans peu de temps, nous les soumettrons à vos suffrages.