06 janvier, 2006

Spectralia 1

J'inaugure une nouvelle série d'articles consacrées aux fantômes de mon passé, à toutes ces figures qui ont compté pour moi des années, quelques mois ou une poignée d'heures, mais qui tous à leur façon ont mérité une petite part de mémoire. Je n'ai plus de contact avec eux et des retrouvailles seraient probablement vaines, voire douloureuses : quand quelqu'un a été pour nous essentiel, comment accepter que le revoir furtivement ne restaure pas sur le champ une vive et indéfectible amitié? Mûrir, c'est accepter que les choses ne soient pas telles qu'ont les voudraient. J'ai fini par l'admettre, moi aussi; mais je garde dans ma mémoire un petit autel pour ceux qui ne pensent plus à moi quand je pense encore à eux - en espérant que ceux qui pensent encore à moi alors que je les ai déjà oubliés pensent à fleurir quelquefois mon souvenir.

Il va de soi que ces spectralia seront rédigés au passé.

Ornella était italienne, mais avait échoué en Normandie par amour. Depuis, elle avait changé de petit ami, mais pas de pays. Comme moi, Ornella est devenue professeur de lettres classiques, et nous avons effectué notre stage dans la même ville. Avouez que prof de français, pour une citoyenne italienne, c'est quand même la classe internationale... Comme moi, Ornella avait un peu de mal à se faire à son nouveau statut, à s'affirmer face à ses élèves. Avec moi, que de fous-rires elle a partagés! Le soir, quand nous rentrions de formation et que nous quittions Saint-Lô à toute hâte (qui connaît Saint-Lô comprendra cette impatience!), nous évoquions nos fringales de jambon fumé. Elle était vraiment délicieuse...
Délicieux aussi ce lapsus qu'elle fit en présence de ses élèves et qui montre combien il est difficile de revêtir les défroques de professeur. Alors qu'Ornella faisait cours, elle entendit des chants provenant du couloir. Elle demanda à ses élèves ce que c'était. Il s'avéra qu'en cours de musique, les élèves créaient leurs propres chansons. Une vague d'enthousiasme submergea alors la classe :
"Et nous madame, est-ce qu'on pourra aussi écrire des chansons avec vous?
_ Est-ce que vous croyez que je suis votre professeur de français?" s'embrouilla-t-elle en roulant les "r" de son accent exquis.

A dire vrai, quoique titulaires du CAPES, nous ne l'étions pas encore vraiment. J'imagine que, comme moi, elle l'est véritablement devenue.
Pourvu que tout se passe bien pour toi aussi, charmante collègue! Songe à moi quand tu savoureras une prochaine tranche de jambon de Parme!

G.

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